Les cernes noires, motifs récurrents dans le travail de l’artiste, contournent et accompagnent consciencieusement chaque motif coloré. Ces rainures apparaissent alors tels des sillons affluant entre les différents reliefs qui composent le paysage pictural dans lequel l’acrylique est travaillée, puis retravaillée encore au couteau ou à l’éponge. Autodidacte, adepte de la technique mixte, l’artiste collecte, assemble et superpose des matériaux divers sur un fond aux tonalités froides réchauffé par d’éclatantes touches colorées. Ces mêmes couleurs qui s’opposent en théorie sur le cercle chromatique mais dont chacune d’elle est pourtant essentielle à l’équilibre spectral.
Centrale à cette démarche artistique remarquable de contrastes, il y à la façon dont l’artiste organise la composition de ses peintures. À la manière d’autres peintres de l’abstraction géométrique,
Véronique Bourdon agence dans un jeu minutieux les lignes et les figures qui s’ordonnent et s’articulent, presque mécaniquement.
Dans une pratique sérielle, l’artiste plasticienne, produit ces toiles telles les pièces uniques d’un immense puzzle qu’il nous faudrait assembler. Au cœur de ces dédales labyrinthiques aucun détail n’est laissé au hasard, la cadence y est assurée, quasi automatique.
Les couleurs cohabitent les unes avec les autres et sont traitées comme des matériaux à part entière qui existent en toute autonomie. Si l’inscription au sein d’une technique de la peinture abstraite est manifeste, l’artiste parvient à s’en affranchir en ne cherchant pas à évacuer toute forme de sensible dans son rapport à l’œuvre ou à nier les références au réel. Les formes géométriques évoluent au sein d’un univers industriel mesuré, métré duquel surgissent parfois la tôle et le métal. Un macrocosme qui s’échappe de l’abstraction pour apparaître sous les traits figuratifs assumés d’une clé, d’une visse, d’un boulon, d’un disque ou d’une grille.
Et puis, il y a le lâcher-prise.
L’abstraction, on le sait, puise ses inspirations et ses mesures dans la nature; ici, les formes, les lignes et les lumières deviennent peu à peu familières. Les courbes apparaissent alors nébuleuses, distendues, un visage bigarré émerge au centre de l’une des pièces, sur une autre, c’est une main zébrée qui agrippe les lames d’un store, puis, les contours du cadran d’une horloge nous apparaissent mous, flous. Les objets deviennent délirants, projections d’un inconscient si souvent magnifié dans les pratiques des surréalistes. Des objets qui confèrent à la toile une aura mystérieuse rappelant les iconographies occultes d’un jeu de tarot qui offriraient de multiples interprétations. Autant de portes de sorties à ces œuvres dont les trous de serrures sont maintes fois représentés par l’artiste.
De temps à autres, ce sont les chiffres et les lettres qui surgissent de dessous la matière et apparaissent alors comme les coordonnées géographiques d’une destination encore inconnue, dont les œuvres sans titre viennent parfaire l’énigme. La pratique de Véronique Bourdon est à saisir comme une invitation au voyage pour lequel ses toiles seront notre vaisseau.
Sarah Heussaff, critique et historienne de l’art
Between the flatness of colour and the irregularity of the canvas, where hot and cold are blown with vigour, between the strictness of a right angle and the generous curve of a circle, Véronique Bourdon invites us to look deeper, and to survey the interior architecture depicted in her paintings. It is rooted somewhere off the beaten track, at the edge of figuration and abstraction, at the precise place where the material is celebrated.
Dark circles, recurring motifs in this artist’s work, surround and conscientiously follow each colourful pattern. These grooves then appear as furrows flowing between the different reliefs that make up the pictorial landscape in which the acrylic is worked, then reworked again, with a knife or sponge. This self-taught mixed media artist collects, assembles and superimposes various materials on a background of cold tones warmed with vibrant colourful touches. These colours, in theory, are opposed on the colour wheel, but are each essential to the spectral balance.
Central to this remarkable artistic process of contrasts, there is the way in which the artist organises the composition of her paintings. Taking after of other painters of geometric abstraction,
Véronique Bourdon precisely arranges lines and figures which are ordered and articulated in an almost mechanical manner.
The artist produces these canvases as part of a series, as if they were individual pieces of an immense jigsaw, that we have to put together. At the heart of these labyrinthine pieces, no detail is left to chance, the pace is measured, almost automatic.
The colours coexist, but are treated as materials in their own right, existing independently. While the artist is clearly an abstract painter, she sometimes steps outside of these confines, by not attempting to clear the canvas of all discernible, recurring form throughout her works, and by maintaining some references to reality. Geometric shapes evolve in the midst of a measured industrial world, from which sheet metal sometimes appears. A macrocosm that escapes from abstraction to appear under the assumed figurative traits of a key, a screw, a bolt, a disc or a grill.
And then, there is the letting go.
Abstraction, as we know, derives its inspirations and proportions from nature; shapes, lines and lights gradually become familiar. Curves appear nebulous, distended, a mixed up face emerges in the centre of one of the pieces, while in another, a striped hand grips the blades of a blind, then, the soft, fuzzy contours of the dial of a clock appear. The objects become delirious, projections of an unconscious so often magnified in the practices of surrealists. Objects that give the canvas a mysterious aura, reminiscent of the occult iconographies of a tarot game that would offer multiple interpretations. So many doors to these pieces whose keyholes are repeatedly depicted by the artist.
From time to time, it is numbers and letters that emerge from underneath the material and then appear as geographical coordinates of a still unknown destination, whose untitled works complete the enigma. The practice of Véronique Bourdon is to be understood as an invitation to travel, and her paintings will be our ship.
Sarah Heussaff, art historian and critic